LETTRE DE RENDSBURG (72)

(de St Petersbourg à Rendsburg)

du Vendredi 15 Juillet au Vendredi 5 Août 2016

Kronstadt, Vendredi 15 Juillet 20h. Le temps s’est éclairci après l’énorme orage subi en quittant St Petersbourg. Les policiers du poste de contrôle me font à nouveau ouvrir tous les coffres de Balthazar, à l’intérieur comme à l’extérieur. Leur but principal est visiblement de contrôler lors de sorties qu’il n’y a pas de passager clandestin caché à bord. Il est toujours aussi difficile semble-t-il d’entrer et sortir de Russie en échappant aux contrôles. Après l’heure que dure ces perquisitions, Balthazar appareille cap à l’Ouest en direction des côtes finlandaises. La sortie du golfe de Finlande se fera ainsi beaucoup plus agréablement que le long des côtes de la Russie au Sud du golfe, côtes sans grand intérêt et que nos visas ne nous autorisent pas à aborder. En outre la traversée sur Tallinn vers le Sud se fera ainsi avec un vent mieux orienté d’après les cartes météo prévisionnelles.

Jolie brise, mer peu agitée, Balthazar file à la voile en route directe tout dessus au près, puis près bon plein puis petit largue dans la pénombre de la nuit déjà un peu moins blanche presque un mois après le solstice d’été.

C’est avec grand plaisir que nous retrouvons le lendemain en début de matinée la délicieuse petite île d’Haapasaari et son petit lac caché. Aujourd’hui c’est la fête de l’île. Ce soir nous irons guincher au bal ; à l’écart dans la pinède une maison en bois abrite la salle des fêtes. Par ce beau temps, frais quand même (nous ne sommes qu’à 6° d’écart de latitude, soit 360 milles, du cercle polaire), des tables à l’extérieur permettent aux îliens de s’asseoir en sollicitant la buvette. A l’intérieur la piste de danse est animée par un homme orchestre et chanteur. Certains airs traditionnels sont repris en chœur par les danseurs et le public. Nicole, qui aime bien danser, se fait inviter par un bel officier en uniforme, Claude invite une charmante finlandaise, professeur de maths à Kokta. Tout l’équipage de Balthazar est en piste, encouragé par un grand escogriffe barbu au bonnet de laine et aux pantalons jaunes en tire bouchons s’arrêtant à mi-mollets qui met de l’ambiance. Sur un long banc les vieux alignés s’esclaffent en se racontant des histoires de jeunesse ou des blagues et applaudissent bruyamment après chaque danse. C’est sympathique et bon enfant, sans saoulerie même si quelques uns ne sont pas très clairs.

Le lendemain une superbe navigation à la voile au petit largue ou au près très serré (30 à 33° du vent apparent, rendu possible par l’eau plate tant elle est protégée entre ces îles innombrables et rapprochées) suivant l’orientation des passages entre les îles nous conduit dans un nouveau mouillage de rêve (60°16’,1 N 25°59’,8 E) sur l’île de Byön. Sur sa côte Sud une passe étroite, invisible même en étant très proche de la rive boisée, se découvre au dernier moment ; elle donne accès à un lac entouré de roseaux, de blocs de granite arrondis et de pinède. Les oiseaux sauvages, couples inévitables de cygnes, poules d’eau et autres oies et canards accentuent l’impression de calme et de plénitude dans ce lieu délicieux en pleine nature. En fin de soirée, à l’heure de la Ginja (liqueur de cerises portugaise ramenée de Lisbonne) dans le cockpit, l’équipage contemple les tableaux successifs de nuages déclinant tout un dégradé d’oranges et de rouges sous l’éclairage du soleil devenu bas sur l’horizon mais qui n’en finit pas de se coucher (comme nous le savons tous près du cercle polaire sa trajectoire apparente est proche de l’horizontale au voisinage du coucher et du lever ; sur le cercle polaire elle est tangente à l’horizon et le coucher coïncide avec le lever).

Lundi 18 Juillet. Cap au SW, c’est le début du retour. Adieu la Finlande que nous avons tous beaucoup aimé. En route pour l’Estonie et les pays baltes. Encore beau temps avec quelques nuages mais le vent trop faible nous oblige à naviguer malheureusement au moteur, appuyé de temps à autre par les voiles pour cette traversée du golfe de Finlande. Vers 20H30 Balthazar pénètre dans le port de commerce de Tallinn après avoir obtenu l’autorisation du contrôle du trafic portuaire. Le ballet est incessant en effet des gros ferries, manoeuvrant dans ce port étroit, ferries qui relient Helsinki à Tallinn (ces villes sont distantes d’une cinquantaine de milles seulement). Comme nous l’avait expliqué l’instituteur de Haapasaari les finlandais viennent nombreux tirer une bordée à Tallinn. Comme les Anglais à Calais ils font cette courte traversée de trois heures environ par ferry pour venir apprécier le charme de la vieille cité médiévale ceinte de remparts, la bonne cuisine de ses restaurants très nombreux et surtout pour embarquer une grosse quantité d’alcools dans les énormes magasins, pour ne pas dire entrepôts, de Wines & Spirits établis sur les quais mêmes du port. C’est pour eux la fête dans une cité beaucoup plus gaie que l’austère Helsinki où l’Etat, comme en Suède, connaissant la propension des finlandais à boire (ont-ils besoin de cela pour compenser un soleil souvent trop bas sur ou sous l’horizon ?), limite les ventes d’alcool qui se font exclusivement dans des magasins spécialisés. Eckard raconte qu’il a vu pareillement débarquer du train qui relie Helsinki à St Petersbourg (où il venait fréquemment pour son travail du temps de l’URSS) des cohortes de finlandais venant simplement, souvent en couples, se saouler à la vodka dans les hôtels russes. Triste addiction.

Nous devons traverser le port de commerce pour pénétrer au fond, par une passe étroite, dans une ancienne petite darse récemment aménagée en « Old city marina ». Sise au pied des remparts et de la vieille ville médiévale juchée sur les pentes d’une vaste colline qui la domine elle mérite bien son nom. Elle se trouve ainsi admirablement placée, à quelques minutes à pied des poternes permettant de franchir les remparts pour s’engager dans les rues pavées étroites de la vieille ville. Juste à côté sur le quai une grande surface facilite l’avitaillement de Balthazar.

Tallinn et l’Estonie, comme les autres Etats baltes, ont une histoire tourmentée.

A la fin du XIième siècle les Danois commerçaient avec les tribus finlandaises qui vivaient là et fondèrent Tallinn en 1093. Mais peu de temps après les marchands de Lübeck, ville fondée en 1143, soutenus par les Chevaliers Teutoniques (sorte de Chevaliers de Rhodes, devenus ensuite Chevaliers de l’Ordre de Malte) prirent peu à peu le contrôle de la Baltique qui devint un lac allemand entouré de comptoirs allemands. C’est ainsi qu’ils chassèrent les Danois de Tallinn au début du XIIIième siècle. Tallinn jouait alors un rôle important grâce au commerce qu’elle faisait avec Novgorod, ville au Sud de St Petersbourg, d’où provenaient des fourrures, du miel, de la cire, du charbon, du goudron, de la résine et d’autres marchandises qu’achetait l’Europe occidentale.

Lorsque les villes marchandes allemandes, au premier chef Lübeck et Danzig, considérèrent l’intérêt qu’elles avaient à coopérer pour établir des politiques et pratiques communes, pour réunir des contributions financières et militaires pour se défendre contre les pirates, et pour établir de nombreux comptoirs communs, elles créèrent au XIVième siècle la fameuse Ligue Hanséatique et Tallinn en devint naturellement membre. Mais les Suédois attirés par sa richesse annexe la région en 1595 jusqu’à ce que Pierre le Grand s’en empare lors de sa grande Guerre du Nord en 1710. Le territoire estonien devient pour deux siècles une région de l’empire russe. Comme en Finlande l’effondrement de celui-ci pendant la guerre de 1914 et la révolution d’Octobre 1917 offrit aux Estoniens la possibilité d’acquérir leur indépendance après une guerre en 1919 et 1920 contre l’Armée rouge. Mais le Pacte germano-soviétique de 1939 permet à l’Union soviétique d’envahir à nouveau le pays qu’elle ravage. Lorsqu’Hitler déclare la guerre à l’URSS elle est envahie rapidement par les Allemands puis, en 1944, à nouveau reconquise par l’Armée rouge et l’Estonie devient une république socialiste intégrée à l’URSS. Mais l’effondrement de l’URSS permet à l’Estonie de recouvrer enfin son indépendance en 1991. Soucieuse de la conserver face à son voisin russe elle adhère rapidement à l’OTAN et à l’Union européenne.

Ayant une forte minorité russe (près d’1/3 de la population) elle est aujourd’hui inquiète de la politique d’expansion russe de Poutine, et de ce qui vient de se passer en Ukraine. C’est pour cela qu’un Conseil de l’OTAN du début du mois vient de décider à sa demande des manœuvres militaires ici dont nous entendons en mer quelques échos. Etats baltes, prochaine poudrière ?

Les deux jours de notre escale ici passent trop vite.

Nous flânons avec plaisir dans les étroites rues pavées bordées de maisons anciennes (beaucoup datent du XVIIième) restaurées et souvent sculptées, étroites et hautes, sur les petites places où abondent les restaurants aux cartes soignées et sur la grande place de l’hôtel de ville datant du XIIIième siècle. Promenade au Moyen Age dans cette petite cité à taille humaine (la ville moderne, hors des remparts, est évidemment beaucoup plus grande et sans grand caractère).

Sur le port un grand panneau retient notre attention. Il annonce le prochain grand festival de chants de Tallinn. Il nous apprend surtout que cette vieille tradition estonienne a joué un rôle très important pour maintenir sous l’occupant la culture et l’identité nationale. Il fut notamment le foyer mobilisateur de la guerre d’indépendance de 1919/1920 ainsi que de l’indépendance recouvrée après l’effondrement de l’URSS.

Un petit musée très intéressant nous décrit l’activité des Vikings de cette région, notamment leur technique pour couler des morceaux de fer brut dans des petits fours à bois en terre cuite. Ils en exportaient une quantité importante à travers la Baltique sur leurs bateaux dont de belles maquettes sont exposées.

Dans l’église St Nicolas un magnifique quadriptyque très ancien occupe le chœur. Un concert qui s’y déroule nous empêche malheureusement de l’examiner de près.

Nous terminons ce court séjour à Tallinn par un dîner bien sympathique dans le restaurant s’appelant Balthasar bien sûr, celui que l’instituteur de Haapasaari nous avait chaudement recommandé. L’équipage arbore au complet les beaux T-shirts au nom de Balthazar qu’Eckard a fait faire et apprécie un repas de qualité dans la salle de cette maison moyenâgeuse dominant du premier étage la grande place de l’hôtel de ville.

Jeudi 21 Juillet.5h30, appareillage dans le silence du petit matin, temps couvert, bonne brise force 5 de NNE faiblissant à jolie brise force 4 l’après-midi. Belle journée de voile au portant pour cette étape de 70 milles le long d’une côte basse et sableuse, presque inhabitée, couverte d’épaisses forêts. En milieu d’après-midi Balthazar pénètre dans la grande baie d’Haapsalu (58°57’N 23°32’ E) avec très peu d’eau, mais un excellent alignement nous maintient dans le chenal dragué. Tout au fond, après avoir viré les bouées débordant une langue sableuse une petite marina se découvre dans laquelle Balthazar se blottit dérive relevée au milieu de bateaux beaucoup plus petits. Bien trop long pour utiliser les coffres tenant les bateaux par l’arrière nous devons rapidement gonfler le zodiac pour aller mouiller l’ancre légère au milieu du petit port après avoir frappé au diamant de l’ancre un orin au cas où l’ancre crocherait une chaîne au fond du port. C’est suffisamment rare pour le souligner ; depuis l’appareillage du Crouesty il y a deux mois le zodiac n’a pas été utile et est resté stocké en soute. Partout, y compris dans les petites îles perdues de l’archipel de Stockholm ou du Aaland, un ponton accueillant a toujours été trouvé évitant la nécessité de sa mise à l’eau.

Un minibus faisant la navette nous emmène faire un tour dans la modeste petite cité balnéaire. Celle-ci est sans charme particulier à l’exception de nombreuses maisons longues et basses, en bois, entourées de potagers, évoquant dans notre imaginaire, des isbas russes.

10h50 le lendemain. Par 58°37’,1 N et 23°24’,4 E Balthazar file à bonne allure, vent de travers bâbord amure, route SSE par cette jolie brise (ces vents de force 4 en moyenne sont les plus fréquents en Baltique l’été) en traversant le détroit entre la grande île estonienne de Saaremaa et la côte. Malheureusement le vent tombe et il faut faire appel à la risée Perkins pour terminer cette étape. L’arrivée sur l’île de Khivu demande de l’attention car une nouvelle fois ici il y a très peu d’eau et il faut cheminer dérive à demi relevée sur de nombreux milles en respectant alignements et bouées cardinales ou latérales qui balisent très bien les approches. Au NE de l’île une langue de sable, n’affleurant qu’à certains endroits, s’étend sur plus de 5 milles en mer, langue qu’il nous faut contourner pour rejoindre le petit port sympathique de Kihnu (58°08’N 24°01’E).

Destination favorite des habitants de Pardu, ville sur la côte voisine d’Estonie, ils sont nombreux à débarquer d’un petit ferry faisant la navette. Quelques minutes après le petit port retrouve le calme après cette animation et la dispersion des arrivants en vélo ou en voiture dans l’île boisée. Pour nous ce sera en fin d’après-midi une promenade à pied qui nous conduit à un caboulot en bois isolé dans la pinède.

Samedi 23 Juillet. En fin d’après-midi, après la remontée sur quelques milles du fleuve Daugava, au fond du golfe de Riga, la petite marina Andrejosta se découvre à l’ouverture d’un canal. Riga est une très belle ville. Le canal en bordure duquel nous nous trouvons traverse une succession de parcs soignés, canal sur lequel circulent de petits bateaux de promenade. De grandes avenues sont bordées par de superbes immeubles dont un grand nombre (près d’1/3) construits à l’aube du XXième siècle sont de style Art Nouveau et sont classés sous la protection de l’UNESCO. Nous découvrons en effet que c’est ici, sous l’impulsion de Mikhail Eiseinstein, l’architecte père du grand metteur en scène russe Sergeï Eiseinstein, suivi par une pléiade d’architectes diplômés de l’Institut Polytechnique de Riga : Alksnis, Laube, Pekshens, Bokslaff, que s’est particulièrement développé ce style. Beauté des balcons ajourés, surprise des fenêtres et tours insolites, grilles bizarres, masques humains ou d’animaux exotiques, sphinx ou Atlantes, figures féminines ou des dieux antiques, tous attirent le regard et excitent l’imagination. Nous découvrons ainsi que Riga est, à juste titre sans doute, désignée comme la perle de l’Art Nouveau. Une promenade dans les rues Alberta et Strelniecku, véritable musée en plein air, tout à fait unique en Europe, nous enchante particulièrement. La visite au 12 de la rue Alberta, du Centre d’Art Nouveau de Riga nous plonge dans l’intérieur de la maison de l’architecte Konstantins Pekshens ; son remarquable escalier à vis, par sa ferronnerie, ses moulures et ses décors est en particulier un véritable chef d’œuvre. Riga, comme ce sera plus loin le cas de Gdansk, abrite une activité importante de bijouterie et d’artisanat mettant en valeur l’ambre, cette très belle résine allant du jaune pâle au marron foncé tombée il y a des millions d’années des pins et qui s’est polymérisée dans certaines conditions, souvent avec des inclusions d’insectes ou de plantes. Les Grecs anciens ont découvert qu’en frottant l’ambre jaune qu’ils appelaient elektron celui-ci attirait d’autres objets et produisait des étincelles. Ils avaient ainsi découvert l’électricité statique et c’est à lui que nous devons le mot de notre fée électricité et de notre chère électronique. Dans une belle bijouterie Anne-Marie sera séduite par un joli pendentif et Nicole par un délicat bracelet. Ils leur vont très bien sur leur peau claire.

Sa profusion de musées, ses églises, sa place de l’hôtel de ville et son exceptionnelle maison des marchands célibataires, l’ambiance de ses rues, les nombreux évènements culturels nous font apprécier particulièrement nos deux jours de visites de Riga et donnent l’envie d’y revenir pour en profiter davantage et mieux la connaître.

Jeudi 28 Juillet, Nicole nous a quittés pour aller marier sa fille, Claude pour aller accueillir ses trois filles et ses petits enfants dans sa maison à Aix-en-Provence. Eckard a bien voulu continuer jusqu’à Gdansk pour compenser la défection d’un équipier et retrouvera Nicole la veille du mariage.

Après une étape directe de 48h effectuée par beau temps mais malheureusement en bonne partie au moteur Balthazar embouque un des bras du delta de la Vistule, à l’entrée du canal menant au port de Gdansk, longeant sur bâbord la digue et les fortifications de WesterPlatte. C’est en ce lieu historique que se déroula la première bataille de l’invasion de la Pologne marquant le début de la seconde guerre mondiale. Le vieux cuirassé allemand Schleswig-Holstein chargé de troupes d’assaut vint s’ancrer à 150m de la presqu’île et ouvrit le feu soudainement le 1er Septembre 1939 au petit matin avant de débarquer les commandos. Ces derniers subirent de lourdes pertes et durent se retirer. Il fallut plusieurs vagues de bombardement de 60 Stukas Ju 87 et plus d’une semaine d’assauts répétés pour venir à bout de l’héroïque résistance de la petite garnison polonaise. WesterPlatte est devenu aujourd’hui un symbole de la résistance polonaise face à l’invasion allemande et un monument national pour les Polonais.

Sur plusieurs milles les quais du principal port polonais regorgent d’activités. Peu avant d’arriver dans l’ancienne Dantzig un autre lieu chargé d’histoire apparaît lorsque nous longeons d’importants et très actifs chantiers navals. C’est là qu’en 1980 les ouvriers sous le leadership de Lech Walesa constituèrent un syndicat indépendant, Solidarnosc, qui réussit sans violences à rassembler progressivement un large mouvement social, soutenu par l’église catholique qui est ici un élément fort de l’identité nationale, contre le régime communiste en place. L’élection en 1978 du premier pape polonais, Jean-Paul II, a en effet soulevé l’enthousiasme et donne aux Polonais la conviction que leur résistance sera cette fois-ci victorieuse. Pour bien marquer que Solidarnosc se place sous sa protection son premier congrès en 1981 est précédé d’une messe durant laquelle tous les délégués prient à genoux. Lech Walesa sera officiellement reçu en audience par Jean-Paul II au Vatican. Il faudra, on le sait, dix années de luttes incluant l’incarcération des dirigeants du mouvement pour aboutir à des élections et au triomphe des candidats présentés par Solidarnosc. Ainsi en 1989 la Pologne sera l’un des premiers pays du Pacte de Varsovie à se retirer de celui-ci et à former un gouvernement la libérant du joug communiste.

Balthazar arrive maintenant au cœur de la cité ancienne, passe sous l’auvent d’un haut bâtiment en bois à étages construit au bord du quai et surplombant l’eau ; en le visitant ensuite nous découvrirons que ce bâtiment abrite un puissant palan mû par deux cages d’écureuil montées en parallèle, dans chacune desquelles au Moyen Age cinq condamnés marchaient pour les faire tourner sous leur poids. Ils parvenaient ainsi à soulever et mettre en place les mâts et voiles de plusieurs tonnes des voiliers d’autrefois. Un pont barre la route ; nous sommes arrivés et Balthazar vient sur bâbord accoster un ponton de la récente marina blottie en plein centre ville (54°20’,9 N 18°39’,9 E), dans un petit bras de la Vistule.

C’est la foire de la St Dominique, foire très ancienne initiée parait-il en 1260.

La ville ancienne déborde d’animation ; dans une ambiance conviviale une foule de familles polonaises venues à cette occasion parcourent les myriades d’échoppes d’artisans, de tréteaux de bateleurs et d’artistes de rue. La place du marché entourées de très belles maisons anciennes étroites et hautes, finement décorées et colorées, est particulièrement animée par des concerts.

On imagine difficilement en visitant le cœur de cette très belle ville ancienne magnifiquement reconstruite ou restaurée à l’identique, le champ de ruines qui régnait là en 1945, tel que nous le montre des photos du Dantzig de l’époque.

Vendredi 29 Juillet au matin. Anne-Marie pressée d’aller aux toilettes de la capitainerie franchit un peu vite l’hiloire en sortant du cockpit et, fait une chute sur le passavant. Résultat : elle s’ouvre profondément l’avant bras sur une belle longueur. Accident stupide comme tous les accidents mais heureusement sans fracture. Je lui fais rapidement un pansement en refermant la plaie impressionnante avec des strips, désinfectant, compresses, micropore et direction les urgences d’un hôpital en taxi. Accueil et prise en charge rapide pour lui faire une douzaine de points de suture.

Les trois jours de séjour prévu ici pour la relève d’équipage permettent à Anne-Marie, de se remettre en faisant un peu de tourisme quand même. Mais elle est bien sûr secouée et surtout elle ne dispose plus que d’un bras valide ce qui ne lui permet pas de naviguer en sécurité. Ne pouvant prendre l’avion, qui lui est interdit maintenant, avec Eckard qui rejoint son foyer, et le retour en train étant bien long et compliqué d’ici, nous optons ensemble pour qu’elle poursuive jusqu’au canal de Kiel d’où je l‘accompagnerai jusqu’à Meudon.

Jean-Jacques, Hervé et Bruno sont arrivés comme prévu, en forme, Jean-Jacques n’hésitant pas à compléter son volumineux sac marin par un petit cubitainer de Belle Cabresse (excellent rhum de Guyane) et un stock de citrons verts. Il assure !

Mardi 2 Août, appareillage dans le calme du petit matin par un temps splendide.

Après deux heures de moteur une petite brise d’Ouest rentre. A couper le moteur et dérouler le génois. Nous oublions de couper le moteur après avoir embrayé la marche arrière pour faciliter la fermeture de l’hélice repliable évitant ainsi de freiner la marche à la voile. Le moteur, tout chaud, refuse absolument de redémarrer pour faire cette petite manœuvre. Clairement il ne reçoit plus de gasoil. Le passage sur le circuit secours ne change rien. Pendant que nous réfléchissons et téléphonons à Axel Chevalier, de la SECODI, j’arrête la rotation de l’arbre en improvisant un frein de Prony avec une barre en bois faisant levier sur l’arbre. La conclusion d’Axel Chevalier est que le solénoïde stoppant l’arrivée de gasoil lorsqu’on appuie sur le bouton stop est resté bloqué en position fermée. Au bout d’environ une demi heure de refroidissement du moteur et après plusieurs manœuvres du bouton stop on entend le petit clic du solénoïde fermant et ouvrant le gasoil. Le moteur démarre alors instantanément. Le solénoïde est à changer dès que possible. Marche à la voile l’après-midi en traversant des grains à l’aide du solent après avoir roulé le génois. Nuit au moteur dans une mer agitée. Le lendemain le beau temps revient en matinée et nous pouvons avancer au petit largue tout dessus à près de 9 nœuds. L’après midi la pluie revient, le vent forcit à force 7 levant une mer pénible. Si nous passons le détroit de la Baltique à hauteur du Cap Arkona nous devrons tirer des bords au près serré tout en gîtant beaucoup. Pas question d’infliger cela à Anne-Marie que j’ai installée bien calée allongée dans sa couchette entre les deux toiles antiroulis bâbord et tribord. Nous allons nous mettre à l’abri de ce cap, en allant mouiller dans la baie très bien protégée de Tramper Wick pour y passer la nuit en attendant que cela se calme.

Jeudi 4 Août. La météo nous annonce un SW de 15 à 20 nds faiblissant l’après-midi et demain. A déraper après une nuit très calme et reposante. Tiens, c’est bizarre ; le guindeau force plus que d’habitude pour remonter l’ancre (elle fait quand même 55kg) et la dizaine de mètres de chaîne qui pend au fond. A la sortie un gros caillou de la taille d’un ballon de rugby est blotti coincé sur la pelle par l’arceau de l’ancre Rocna. Incident cocasse et inattendu. Un bout passé dans l’arceau permet de faire basculer l’ancre en libérant le gros caillou ; Espérons pour lui qu’il n’y avait pas de crabe pour le recevoir par 10m de fond !

Après avoir franchi le cap Arkona nous longeons la côte allemande au moteur puis à la voile au près. Au fur et à mesure que la Baltique se resserre les cargos et ferries qui relient l’Allemagne au Danemark se font plus nombreux sur les voies montantes et descendantes. Le vent est passé SW force 4 permettant une jolie navigation à la voile. Après avoir laissé sur bâbord la presqu’île de Fehmarn et tiré quelques bords nous voilà enfin en route directe sur Kiel.

C’est avec plaisir que par un beau soleil, nous embouquons la grosse écluse du canal de Kiel vers midi ce Vendredi 5 Août après cette longue étape de près de 400 milles depuis Gdansk. Une navigation paisible au milieu des forêts et des champs nous conduit en milieu d’après midi à Rendsburg, Nous retrouvons là la très agréable petite marina blottie au milieu des frondaisons, dans une sorte de lac relié au canal par un étroit cheminement.

Balthazar confié entre les bonnes mains de Jean-Jacques et de ses équipiers, Anne-Marie et moi quittons le bord le lendemain pour la gare toute proche de la marina et prendre le train pour Hambourg puis Paris.

Je rejoindrai quelques jours plus tard Balthazar à Amsterdam où Jean-Jacques l’aura conduit pendant qu’Anne-Marie ira récupérer à Chesley, dans la belle propriété de mon frère Christian entre Chaource et Tonnerre.

Aux parents et ami(e)s qui nous font la gentillesse de s’intéresser à nos aventures nautiques à travers ce carnet de voyages

Pour lire d’autres lettres de Balthazar ou voir des photos et documents visitez le site de Balthazar artimon1.free.fr

Equipage de Balthazar :

Jean-Pierre, Anne-Marie, Eckard et Nicole, Claude de St Petersbourg à Riga

Jean-Pierre, Anne-Marie, Eckard de Riga à Gdansk

Jean-Pierre, Anne-Marie, Jean-Jacques (Auffret), Bruno (Thomé), Hervé (Debaecker) de Gdansk à Rendsburg